Les Gitans d'Espagne


Roselita hija del viento

 

Les premiers témoignages de leur présence en Espagne semblent dater des alentours de 1425. 
Ils arrivèrent en Espagne par les Pyrénées, en disant qu’ils avaient été expulsés de leur terre, la Petite Égypte par les Turc

s (Ndt: La petite Égypte désignerait une région de Grèce. Athènes et le Péloponnèse tombent aux mains des Turcs en 1426 et Constantinople en 1453). De là viendrait le nom d’égyptiens, gitans. 
Ils circulent par groupes de quarante à cent, conduits par des personnages que l’on dit « comtes » ou « ducs ». Ils sont de peau foncée, les hommes portent la barbe et des cheveux longs, anneaux aux oreilles, les femmes des turbans, des bagues, des boucles d’oreilles et autres ornements. Ils exhibent des lettres et des saufs conduits de quelque roi, et des bulles du Pape, en affirmant avec astuces que celui-ci leur a imposé un pèlerinage de pénitence de sept ans et qu’ils vont jusqu’à Saint Jacques de Compostelle; Alphonse V d’Aragon autorise le duc Jean de la Petite Égypte à voyager sur ses terres pendant un trimestre.

En 1462 deux comtes de la Petite Égypte, appelés Thomas et Martin arrivent en Andalousie à la tête d’une centaine de personnes, ils sont accueillis dans la ville de Jaén par le Connétable Michel Lucas d’Iranzo, lequel au bout de quelques jours leur demande de partir en leur donnant des cadeaux de toutes sortes. En 1470, le même Connétable accueille un autre groupe d’une quarantaine de personnes à Andujar et la même invitation au départ dans les mêmes conditions se renouvellement quinze jours plus tard. 

Très vite, on les voit dans les cortèges des processions des diverses fêtes du Corpus Christi: dansant, jouant de toutes sortes de petits tambourins, notamment à Guadalajara en 1478. Peu après à Ségovie, à Tolède… 

À Grenade depuis la conquête (Ndt: le terme est évidemment reconquête avec reprise de la ville en 1492 par les armées d’Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon!), les Morisques (1) dansent en l’honneur du Saint Sacrement. En 1533 ils se plaignent que les gitans leur volent des bêtes dans les champs et des habits dans les maisons dans lesquelles ils s’introduisent sous prétexte de dire la bonne aventure ou de montrer aux habitants des tours de magie. Au début du XVIIe siècle, les Gitans commencent à entrer en compétition avec les Morisques et à partir de 1607 les fêtes gitanes remplacent celles des Morisques et finissent pas les remplacer définitivement après l’expulsion de 1610 (2). Cela ne veut pas dire que les fêtes étaient identiques mais que les Gitans étaient capables d’imiter et même de « surpasser » les Morisques, de même qu’ils avaient interprété des séguedilles traditionnelles de la Castille à la manière gitane…

Les spectacles gitans en arrivent à avoir un grand succès, tant pour les fêtes religieuses que les fêtes civiles. Très vite surgit en Espagne la mode et les imitations de tout ce qui est gitan. Le costume gitan s’introduit au théâtre et dans les bals costumés.

On les cite très vite dans la littérature. 
Déjà dans deux œuvres de Gil Vicente (Ndt: dramaturge et musicien d’origine portugaise 1465-1536. Il écrivit en castillan et en portugais), du début du XVIème apparaissent des Gitans qui dansent et chantent. Dans « l’Auto da festa », deux Gitans entonnent une chanson dédiée à Saint Jean. Dans les comédies apparaissent des indications comme « chanter avec des tambourins à la manière des Gitans ». 
Leblon (3) s’arrête sur la première des « Nouvelles exemplaires » de Cervantès, « La petite Gitane » (1613): À Madrid les Gitans viennent de participer aux fêtes de Sainte Anne, patronne de la capitale. Preciosa (Ndt: nom de la Gitane héroïne de la nouvelle) concourt pour une compétition de danses avec un groupe de huit Gitanes dirigé par un danseur lui aussi gitan. Le comité des fêtes leur accorde le premier prix. Les Gitanes entrent alors dans l’Église et dansent devant la statue de la Sainte. Preciosa chante un poème dédié à Sainte Anne, en s’accompagnant de tambourins. Désormais célèbre, Preciosa revient à Madrid quinze jours plus tard avec trois de ses compagnes. Elles présentent une nouvelle danse, elles chantent des poèmes au milieu de chœur de plus de deux cents personnes qui leur donnent des pièces de monnaie…On les engage pour aller chanter chez les particuliers. La troupe va voyager à Tolède, en Estrémadure, dans la Manche, à Murcie... (4)

Ce qui apparaît dans ces nouvelles, c’est que c’était un comportement habituel parmi les Gitans de participer à des concours lors de fêtes, en dansant et en chantant. Mais remarquons que ce que chante Preciosa, ce ne sont pas des chants « Gitans » mais des oeuvres très hispaniques, des chants de Noël ou profanes, des poèmes. Cervantès lui-même précise que les chansons et les poèmes de rue étaient fréquemment les oeuvres de poètes professionnels espagnols qui les vendaient autant aux Gitans qu’aux aveugles de rue […].
Tout cela nous dit que les Gitans se joignaient à la population, particulièrement aux classes populaires, en offrant une manière de chanter et de danser « à la gitane » dans des contextes festifs. Ce qui apparaît ce sont des éléments du « folklore » de la péninsule, de la musique populaire de chaque époque, mais exécutée « à la manière gitane ». La toute particulière habileté pour la danse, le costume, l’accent et un type particulier d’interprétation, leur confèrent un caractère exotique. Quant aux musiciens professionnels, leur méthode habituelle c’est de jouer ce que le public apprécie.

Il y a eu des lois constantes contre les Gitans principalement prises pour des motifs de plaintes liés à leur vie d’errance et pour les vols ou escroqueries. Mais en parallèle les Gitans étaient plutôt acceptés par la population comme élément animateur dans les fêtes. […] 

On peut dire qu'au cours des XVIe et XVIIe siècles, les Gitans espagnols gardèrent une vie relativement errante, une vie de nomades, comme c’était traditionnel pour eux. Mais peu à peu ils allèrent en se sédentarisant, un phénomène que nous observerons à partir du XVIIIème et plus encore dans la second moitié du XVIIIème, en particulier en Andalousie (5) particulièrement dans sa partie occidentale. Cela n’empêche que beaucoup de Gitans ont maintenu une vie errante, comme le montre une gravure de Gustave Doré avec des Gitans du Levant espagnol vers 1860

 

 



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