Roms : le gouvernement à pas comptés



Des Roms poussent leur caravane sous le regard des CRS après avoir évacué leur camp à Villeneuve d'Ascq, le 9 août 2012. (Photo Pascal Rossignol. Reuters)




 Une conférence interministérielle se tiendra la semaine prochaine sur l'intégration des Roms. Les associations s'inquiètent de marges de manœuvre limitées.

Par WILLY LE DEVIN

La politique du bâton cèderait-elle lentement sa place à celle de la carotte ? C’est ce que laisse supposer l’annonce faite jeudi matin par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, de la tenue, la semaine prochaine, d’une conférence interministérielle dédiée à l’intégration des Roms. Si toute naïveté est à proscrire quant à l’issue salvatrice d’un tel sommet, les associations saluent néanmoins l’idée de sortir enfin d’une logique purement répressive, en associant aux discussions, outre Matignon et Beauvau, les ministères chargés de l'Economie, du Logement, et des Affaires sociales.

Une initiative qui va dans le sens de la promesse de campagne du candidat Hollande qui affirmait, un tantinet fanfaron, ne pas vouloir démanteler de camps sans offrir de solutions de relogement. Un vœu qui tarde à voir le jour, ce que n’a pas manqué de rappeler, mardi, le Forum européen des Roms et des gens du voyage (Ferv) en adressantune lettre acerbe au Président. Le point sur le dossier en 3 questions.

Quelle différence y-a-t-il entre la politique menée par Sarkozy et celle conduite, jusqu'à présent, par la gauche ?

Aucune, répondent de concert les associations. En dépit des serments présidentiels, les démantèlements qui se sont succédé depuis le début de l'été à la demande de la place Beauvau n’ont, pour la plupart, pas abouti à autre chose qu’une précarisation grandissante des familles évacuées. Dans un communiqué publié la semaine dernière, le Réseau Education sans frontières pestait contre le parachèvement par la gauche de la politique sécuritaire : «Nicolas Sarkozy avait, en 2010, dans son discours de Grenoble, fondé des mesures coercitives sur l’appartenance à un groupe racial. On est consternés de voir Manuel Valls lui emboîter le pas !»

Le 9 août, un charter parti de Roissy a renvoyé 240 Roms en Roumanie sans qu’aucune concertation avec les associations ni prise en charge alternative ne soient tentées. Un constat qui extirpe la même désapprobation à Saimir Mile, président de La Voix des Roms : «Cet exécutif ne considère pas plus les Roms que le précédent. Il faut faire attention car ce que l’on a dit pour la droite vaut aussi pour la gauche. A force d’attiser le vent de la stigmatisation, on va encore accentuer l’anti-tsiganisme. Vu le climat qui règne depuis deux ans autour des Roms, je m'étonne même que cette forme de racisme ne soit pas encore plus forte aujourd’hui.» Surtout, c’est la monomanie qui pousse les mandatures successives à ne traiter la question des Roms que par le prisme de l’expulsion qui déconcerte les associations.

A quoi peut servir une conférence interministérielle ?

A faciliter l’accès au marché du travail entre autres. Actuellement, la France est l’un des derniers pays d’Europe à appliquer aux Roms un ensemble de mesures dites «restrictives» ou «transitoires.» En clair, ces mesures restreignent jusqu’au 31 janvier 2013 l’accès au travail aux citoyens de Bulgarie et de Roumanie, pays pourtant entrés dans l’Union européenne (UE) le 1er janvier 2007. Durant cette période, les citoyens bulgares et roumains doivent détenir une autorisation de travail ainsi qu’un titre de séjour s'ils veulent exercer. Les autorisations de travail doivent être demandées par les futurs employeurs. Elles sont délivrées par les services des directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP).

«Voilà un système totalement kafkaïen s’essouffle Alexandre Le Clève, membre du collectif Romeurope. On se retrouve parfois dans la situation ridicule où des Roms ont l’autorisation de travail mais se font, entre-temps, expulser par la préfecture !». Il est vrai que le système semble particulièrement inadapté du fait de la lourdeur administrative qu’il impose. Outre la chance de tomber sur un employeur bienveillant, voire carrément militant, les associations estiment que les Roms doivent patienter entre cinq et sept mois pour voir leur situation assainie. Un temps que les autorités ne tolèrent pas toujours... 

Quelles sont les marges de manœuvre du gouvernement ?

Les associations, dont certaines seront conviées à la table des négociations, sont très claires quant à leurs doléances. D’abord, les démantèlements sauvages doivent selon elles cesser sur le champ. «On ne peut empêcher les Roms de travailler et, parallèlement, briser leur habitat», s'énerve à son tour Saimir Mile. Ensuite, elles réclament l’abolition immédiate des mesures restrictives considérées de longue date par Bruxelles comme discriminatoires à l'échelon intra-européen.«Dernièrement, l’Italie a abrogé ces absurdités. Et je ne crois pas qu’il s’agisse d’un pays dont la situation économique est particulièrement enviable», rappelle Alexandre Le Clève.

Cependant, le gouvernement ne l'entend pas de cette oreille. L’exécutif plancherait plutôt sur plusieurs pistes censées assouplir la situation : en plus des mesures restrictives, les Roms sont confinés dans l'Hexagone à une liste de 150 métiers à exercer. Or c’est peu dire que certaines de ces tâches se révèlent totalement inappropriées. En coulisses, le gouvernement étudie l'élargissement de cette liste à des métiers «plus accessibles». Autre levier : supprimer la taxe obligeant l’employeur qui désire embaucher pendant plus d’un an un Roumain ou un Bulgare à payer au minimum 713 euros à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). 

Enfin, Manuel Valls a rappelé combien il était coûteux de pratiquer une politique décente en matière de relogement. Le ministre de l’Intérieur a même évoqué des chiffres de l’ordre de 4 600 à 6 300 euros par personne et par an. Une réflexion qui achève de faire bondir Saimir Mile : «Quel est l’intérêt de maintenir une population inerte dans des villages d’insertion ou dans des hôtels ? C’est coûteux, c’est contraire à la dignité des familles qui ne peuvent élever des enfants dans de bonnes conditions, et cela crée de la défiance. Pourquoi ne pas associer les Roms à des projets d’autoconstruction dans lesquels ils pourraient s'épanouir et générer de la richesse ?»


 



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